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De glissade de l’été, de retard scolaire et de tutorat

Par Égide Royer Ph. D, psychologue

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La conjointe d’un de mes amis, une professeure de danse professionnelle dans un collège, me racontait qu’elle faisait entrer ses étudiants en classe pour quelques jours durant l’été. Elle avait en effet observé, au début des années scolaires précédentes, que le fait de ne pas danser pendant trois mois affectait trop leurs performances. 

Il est maintenant de plus en plus reconnu qu’il en est ainsi des vacances pour un certain nombre de jeunes qui fréquentent l’école, particulièrement ceux qui y éprouvent des difficultés. Passer deux mois à ne lire et à n’écrire que très peu a un impact sur le maintien de leurs habiletés. En effet, en septembre, tous les jeunes ne sont pas égaux lorsqu’ils reviennent à l’école. Plusieurs vivent ce qu’il est convenu d’appeler la « glissade de l’été ». 

Un article paru dans le New York Times[1] résume une étude publiée sur cette question[2]. Les chercheurs concluent essentiellement à une régression en lecture et en mathématiques durant l’été pour plusieurs élèves. Cette situation affecte beaucoup plus les jeunes de milieux défavorisés. On estime que, pour eux, le recul des habiletés en lecture équivaut à deux mois d’enseignement. Il s’agit d’ailleurs d’une perte cumulative qui, été après été, a un impact réel sur leur réussite scolaire. Au contraire, les jeunes de milieux favorisés qui participent à des activités variées font certains gains en lecture durant leurs vacances estivales. Une autre étude de l’Université Johns Hopkins[3] soutient que les deux tiers des écarts de réussite entre les jeunes de milieux favorisés et ceux de milieux défavorisés de neuvième année sont attribuables à cette « glissade de l’été ». 

Les interruptions d’enseignement en présentiel causées par la présente pandémie sont susceptibles d’amplifier ce phénomène, entre autres pour les jeunes en difficulté d’adaptation et d’apprentissage. Certains parlent d’ailleurs maintenant d’une autre glissade, celle associée au COVID-19. Un rapport américain sur l’impact de la pandémie sur l’apprentissage des élèves de la maternelle à la 12e année indiquait que les élèves avaient en moyenne accumulé cinq mois en retard en mathématiques et quatre mois en lecture à la fin de la dernière année scolaire[4]. Au Québec, compte tenu que nos écoles sont parmi celles qui ont offert le plus d’enseignement en présentiel de tout le continent, il est heureusement probable que l’impact soit moins important.

Que pouvons-nous faire pour aider ces jeunes en ce début d’année scolaire?

Dans un premier temps il est important de reconnaître que le redoublement et la seule promotion automatique (monter d’année sans autre forme d’aide) ne permettent pas habituellement de combler ce type de retard.

En effet, les recherches indiquent de manière répétée que, lorsqu’un jeune présente des retards scolaires au primaire, le redoublement et la promotion automatique ne s’avèrent pas des mesures efficaces. Les élèves qui, à l’école primaire, reprennent une année ne s’en sortent pas mieux que s’ils avaient suivi leur groupe d’âge et étaient passés à l’année suivante avec leurs camarades. D’ailleurs, si on y réfléchit bien, on peut se demander pourquoi le fait de répéter exactement la même expérience, d’en vivre une copie conforme, donnerait un résultat différent[5].

La promotion sociale sans aide n’est pourtant pas non plus considérée comme une solution. Suivre automatiquement son groupe d’âge et passer, par exemple, au secondaire en présentant des retards scolaires, tout particulièrement en lecture, est un facteur de risque pour ce qui est de l’échec scolaire. On aura beau affirmer qu’il est important de préserver l’estime de soi du jeune en évitant le redoublement, connaître l’échec dans une classe de première secondaire n’est pas susceptible d’être une expérience très valorisante pour l’ego d’un adolescent.

C’est ici que d’autres options comme l’école d’été, l’apport d’aide spécialisée durant la journée scolaire ainsi que le tutorat peuvent permettre d’offrir le soutien dont certains élèves ont besoin. Ces mesures s’avèrent nettement plus efficaces que le redoublement ou la promotion automatique[6].

L’école d’été, aussi appelé camp d’été pédagogique, est l’une des mesures de plus en plus utilisées pour prévenir le redoublement et les retards scolaires. Elle a un impact positif pour tous les élèves, mais particulièrement pour ceux du début du primaire et du début du secondaire qui éprouvent des difficultés d’apprentissage. L’école d’été s’avère plus efficace avec de petits groupes et de l’enseignement individualisé. La connaissance préalable de leurs élèves par les enseignants, la participation des parents et une supervision minutieuse des interventions augmentent son effet[7]

Certains de ces jeunes entreront malgré tout à l’école avec un décalage par rapport à la moyenne de leur groupe. Il faudra donc, dès la rentrée, prévoir également une forme d’aide individualisée, de suivi, avec l’utilisation au besoin d’autres moments que ceux prévus à l’horaire. Les services d’orthopédagogie offerts à l’école sont un exemple du type d’aide à privilégier.

Comme je l’ai souligné, les perturbations causées par le COVID-19 ont exacerbé les retards scolaires de plusieurs jeunes. Le programme québécois de mentorat offert depuis le printemps 2021 est l’une des mesures les plus importantes pour soutenir les élèves les plus touchés par cette situation. À la fin avril, plus de 160,000 jeunes étaient suivis par près de 15,000 tuteurs. Les parents qui jugent que leur enfant a développé des retards scolaires peuvent communiquer avec leur école pour obtenir des informations complémentaires sur les formes de tutorat disponibles. 

En plus de ce que je viens de mentionner, les suggestions qui suivent sont susceptibles de diminuer l’effet de cette « glissade de l’été », voire de combler l’écart qu’elle entraîne.

Les parents : Outre ce qui est demandé à l’école, prévoyez quotidiennement un moment agréable de lecture pour le simple plaisir. Si vous observez que votre jeune éprouve des difficultés en lecture, demandez rapidement conseil. 

Les enseignants : Dès que vous reconnaissez qu’un jeune présente un écart notable de la moyenne du groupe, tout particulièrement en lecture, ne laissez pas le retard prendre de l’ampleur. Faites des ajustements, rencontrez les parents, demandez conseil à l’orthopédagogue de votre école.

Les directions d’école : Posez-vous mensuellement la question: « Comment se débrouillent mes lecteurs débutants? » pour le primaire ou « Qui a été absent de mon école et qui obtient de faibles notes en français et en mathématiques? » pour le secondaire. Dès que vous avez l’information, agissez rapidement en conséquence.

Les centres de services scolaires : En vous référant aux pratiques exemplaires, investissez entre autres dans les programmes de tutorat et de camps d’été pédagogiques. Il s’agit de mesures qui favorisent la réussite et constituent une excellente occasion pour les étudiants qui sont en troisième ou en quatrième année dans un programme universitaire conduisant à un diplôme en enseignement de se faire valoir et d’apporter dès maintenant leur contribution à la réussite scolaire des jeunes.

SMINK, J. (27 juillet 2011). This is your Brain on Summer. New York : The New York Times.

SLOAN-MCCOMBS, J., AUGUSTINE, C. H., & SCHWARTZ, H. L. (2011). Making Summer Count: How Summer Programs can Boost Children’s Learning. Santa Monica, CA : Rand Corporation.

ALEXANDER, K. L., ENTWISLE, D. R., & OLSON, L. S. (2007). Lasting consequences of the summer learning gap. American Sociological Review, 72, 167-180.

DAVID, J. L. (2008). What research says about… / grade retention. Reaching the Reluctant Learner, 65(6), 83-84.

WESTCHESTER INSTITUTE FOR HUMAN SERVICES RESEARCH, INC. (Spring 2004). Summer School. Sharing SuccessResearch BriefSummary of new Research on Topics of Interest to New York State Educators. www.sharingsuccess.org

Le Dr Égide Royer est psychologue et spécialiste de la réussite scolaire. Son expertise en éducation est reconnue autant au Québec qu’à l’étranger, plus particulièrement en ce qui a trait à la prévention de l’échec scolaire et aux interventions pour aider les jeunes qui vivent des problèmes d’adaptation à l’école.


[1] Smink (2011).

[2] Sloan-Mccombs et autres (2011).

[3] Alexander, Entwisle et Olson (2007). 

[4] Voir https://www.mckinsey.com/industries/public-and-social-sector/our-insights/covid-19-and-education-the-lingering-effects-of-unfinished-learning

[5] David (2008).

[6] David (2008). 

[7] Westchester Institute for Human Services Research, Inc. (2004).